PAROLE D’EXPERT : RGPD : vie privée ou vie « pricée » ? 3/3

Par Antoine Defaix, Consultant CG2 Conseil

Une série de 3 billets pour présenter quelques éléments de réflexion autour de la protection de la vie privée et de la monétisation des données à caractère personnel

#RGPD #vieprivée #monétisationdesdonnées

Post 3/3 : Quelles perspectives à la monétisation des données ?

Sur le plan pratique, on ne peut a priori vendre que ce qu’on possède ou ce qu’on produit, qu’il s’agisse d’éléments matériel (objets) ou immatériels (production intellectuelle).

 

Or, dans le contexte de l’exploitation des données à caractère personnel (DCP)

  • Beaucoup de données qui se rapportent à nous ne nous appartiennent pas, et n’appartiennent potentiellement à personne.
    • Elles sont simplement le reflet de nos interactions sociales (messages, like…) et de nos habitudes de vie (historique de consommation de produits (liste de courses au supermarché, sur Amazon) ou de services (location de voiture, abonnement sur Netflix). En revendiquer la propriété n’est forcément simple.
  • Certaines données se rapportent véritablement à ce que nous sommes (comme les données biométriques) mais concernent, pour certaines, notre patrimoine génétique familial, et renvoient donc à notre identité familiale.
    • Dans ce cas, une personne qui vend des données personnelles vend en réalité seule et pour elle-même une partie du patrimoine de sa famille.

Dans ces conditions, il paraît difficile de pouvoir encadrer contractuellement ou juridiquement la vente par un particulier de données à caractère personnel.

 

Par ailleurs, sur le plan moral, la monétisation des données met en lumière deux problématiques :

  • La vente par les utilisateurs de DCP conduirait à entretenir et à développer un système économique moralement discutable, basé sur la marchandisation de notre intimité et de notre attention. En effet, les données générées par les utilisateurs ont d’autant plus de valeur qu’elles sont riches d’informations liées aux activités de l’utilisateur (publication de messages, recherche et consultation de pages web, interaction avec d’autres utilisateurs, achats…)
    • Même si cela semble passer aujourd’hui inaperçu, il est intéressant de se souvenir des réactions indignées suscitées par l’expression de Patrick le Lay, ancien PDG de TF1, expliquant que « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Ces propos avaient alors été jugés très cyniques mais n’étaient malheureusement que très pragmatiques, et en application directe du principe d’économie de l’attention) (6)
  • Cette monétisation va créer des inégalités entre les utilisateurs car ce sont les personnes dans les situations financières les plus fragiles qui iront vers ce genre de solution.
    • Autrement dit, cette marchandisation de l’intimité sera une nécessité pour les plus précaires, alors qu’elle sera perçue pour les plus favorisés comme une aberration (ou à la rigueur comme une curiosité pour ceux qui aiment tester les services « innovants »)

D’ailleurs, à terme, les plus riches et les plus éduqués iront très probablement vers des usages qui deviendront payants et qui leur permettront de protéger leur vie privée : (7)

  • Soit en limitant la collecte de leurs données, en accédant à des versions premium des plateformes ou en utilisant des artifices technologiques (ex : abonnement VPN) qui leur permettront de ne pas être tracés
  • Soit en limitant leur exposition aux espaces publicitaires en accédant à des services (réseaux sociaux, messagerie, commerce ligne…) dépourvus de publicité, afin de ne plus subir les affres de l’économie de l’attention

 

En d’autres termes, l’objectif sera alors simplement de pouvoir faire valoir notre droit à l’invisibilité, avec l’idée, peut-être utopique, de préserver notre libre-arbitre et notre capacité à réfléchir et à donc à choisir librement.

Conclusion

L’époque actuelle est faite d’instantanéité et de réactivité et nous amène à nous focaliser sur le court terme, au détriment d’une réflexion sur les conséquences que pourraient avoir à l’avenir nos comportements actuels.

 

Par paresse et par complaisance, l’homme recherche la facilité par l’utilisation de services personnalisés qui flattent son égo et facilitent sa vie.

En tant que consommateur, nous ne voyons pas d’inconvénient immédiat à ce que notre vie privée numérique soit exposée et nos données à caractère personnel exploitées, et nous préférons vivre dans une forme de déni en refusant de chercher à savoir cette situation pourrait se retourner contre nous dans le futur…